Modèles de compositions locales

Les expressions de \[{g}^{E}\] que nous avons vues jusqu'à présent doivent être considérées comme totalement empiriques, et elles ne s'appliquent qu'à des mélanges binaires : leur généralisation aux mélanges multi-constituants est très malaisée.

Des considérations plus physiques sur la structure des mélanges liquides ont permis de proposer des expressions plus générales. Un concept très fructueux est celui de "compositions locales", selon lequel les molécules, à l'échelle microscopique, s'organisent en "cellules" dans lesquelles les compositions locales diffèrent, du fait des interactions à courte distance, des compositions globales dans le mélange.

Imaginons par exemple un mélange binaire, équimolaire, dans lequel les interactions entre les molécules (1) et (2) sont "plus répulsives" que les interactions entre molécules (1) et (1) ou les interactions entre molécules (2) et (2). Les molécules formeront alors des cellules dans lesquelles les molécules de même nature ont tendance à s'agglomérer pour exclure les molécules de nature différente : on a donc une composition locale de molécules (1) autour d'une molécule (1), \[{x}_{11}\] plus grande que la composition globale \[{x}_{1}\] dans le mélange. Par contre, la composition de molécules (2) autour d'une molécule (1), \[{x}_{21}\] est plus petite que la composition globale de molécules (2), \[{x}_{2}\].

Mélange binaire, équimolaire, avec interactions moléculaires dissymétriques | Jacques Schwartzentruber | Informations complémentaires...Informations
Mélange binaire, équimolaire, avec interactions moléculaires dissymétriquesInformations[2]

Cette répartition non aléatoire des molécules dans chaque cellule est liée aux énergies d'interaction entre molécules ; dans la cellule centrée autour d'une molécule (1), \[{g}_{11}\] est le potentiel d'interaction entre deux molécules (1), et \[{g}_{21}\] le potentiel d'interaction entre une molécule (2) et une molécule (1) (noter que \[{g}_{21}={g}_{12}\]. L'organisation des molécules dans cette cellule peut être représentée par une loi de type Boltzmann :

\[\frac{{x}_{21}}{{x}_{11}}=\frac{{x}_{2}}{{x}_{1}}\exp\left[-\left({g}_{21}-{g}_{11}\right)/RT\right]\]

Sans rentrer dans le détail des développements, nous citerons simplement, comme exemple des modèles de compositions locales, l'équation NRTL[3] ( Renon et Prausnitz, 1968[4]), dont nous donnons directement la forme pour un mélange à \[c\] constituants :

\[{g}^{E}/RT=\sum _{i=1}^{c}{x}_{i}\frac{\sum _{j=1}^{c}{x}_{j}{\tau }_{ji}{G}_{ji}}{\sum _{k=1}^{c}{x}_{k}{G}_{ki}}\]

\[{G}_{ji}=\exp\left(-{\alpha }_{ji}{\tau }_{ji}\right)\] avec \[{\alpha }_{ji}={\alpha }_{ij}\] et \[{\tau }_{ji}=\frac{{g}_{ji}-{g}_{ii}}{RT}\]

Dans cette expression, on dispose de trois paramètres ajustables par binaire \[\left(i\right)-\left(j\right)\]  : \[{\tau }_{ij}\], \[{\tau }_{ji}\], \[{\alpha }_{ij}\]. En fait, une valeur \[{\alpha }_{ij}=0,3\] convient dans la plupart des cas ; on utilisera \[{\alpha }_{ij}=0,47\] pour des binaires constitués d'un constituant apolaire et d'un composé ayant tendance à s'auto-associer, comme les alcools). On pourra donc la plupart du temps se limiter à ajuster \[{\tau }_{ij}\] et \[{\tau }_{ji}\] pour chaque binaire.

Le calcul des coefficients d'activité[6] à partir de l'équation NRTL[3] ne présente aucune difficulté particulière, même s'il est un peu laborieux, et conduit à :

\[\ln{\gamma }_{i}=\frac{\sum _{j=1}^{c}{\tau }_{ji}{G}_{ji}{x}_{j}}{\sum _{k=1}^{c}{G}_{ki}{x}_{k}}+\sum _{j=1}^{c}\frac{{x}_{j}{G}_{ij}}{\sum _{k=1}^{c}{G}_{kj}{x}_{k}}\left({\tau }_{ji}-\frac{\sum _{l=1}^{c}{x}_{l}{\tau }_{lj}{G}_{lj}}{\sum _{m=1}^{c}{G}_{mj}{x}_{m}}\right)\]

L'équation NRTL[3] permet de bien représenter le comportement de mélanges divers, même fortement non-idéaux. De plus, elle permet de "prédire" de façon relativement fiable le comportement des systèmes multi-constituants à partir de l'ajustement des paramètres binaires sur les seules données expérimentales binaires.