Choix de la forme cristalline à développer pour une nouvelle molécule d'intérêt pharmaceutique
Compte tenu de ce que nous venons de dire, on comprend qu'il est tout à fait essentiel de bien choisir la forme cristalline d'une molécule que l'on souhaite développer, en vue d'en faire un médicament. Cependant, avant le choix de la forme polymorphe, il faut déterminer, si la structure chimique le permet, quelle forme salifiée sera choisie. Beaucoup de molécules d'intérêt thérapeutique comportent des fonctions soit basiques (amine par exemple) soit acide (sulfate, sulfonate, carboxylate, phosphate, etc). Dans le premier cas, tout une liste d'acides minéraux ou organiques peut être envisagée pour préparer des sels. Dans le cas des acides, ce sont surtout le sodium, le potassium et le calcium qui sont utilisés comme contre ion. On peut également décider dans les deux cas de développer la forme non ionisée.
Nous présentons ici l'exemple du Rimonabant, dont la structure est présentée sur cette figure :
C'est finalement la forme non salifiée qui a été choisie pour le développement. Une recherche expérimentale systématique des formes cristallines possibles a été entreprise. C'est ce que l'on appelle le triage polymorphique (polymorphism screening en Anglais). Nous reviendrons brièvement sur cet aspect dans le dernier paragraphe.
Deux formes cristallines on pu être mises en évidence, dites I et II, ainsi qu'un monohydrate et toute une série de solvates sans intérêt pharmaceutique. Ayant éliminé l'hydrate, il s'agissait de savoir quelle forme cristalline serait finalement sélectionnée.
La préparation de monocristaux a été effectuée et les structures par RX[3] déterminées (Figures suivantes) :
Le tableau suivant résume les caractéristiques structurales de ces deux formes.
Forme I | Forme II | |
---|---|---|
Système cristallin | triclinique | monoclinique |
Groupe d'espace | P-1 | P 1 2 1/c 1 |
Paramètres de maille | a = 6,9230\ Å b = 10,1640\ Å c = 17,031\ Å \alpha = 76,10° \beta = 86,720° \gamma = 77,230° | a = 17,4670\ Å b = 9,2820\ Å c = 13,9450\ Å \alpha = 90° \beta = 91,9940° \gamma = 90° |
Volume (Å^3) | 1134,5 | 2259,5 |
Z | 2 | 4 |
Masse volumique (\textrm{kg/m}^3) | 1357 | 1363 |
Comme nous l'avons fait remarquer, cette molécule de masse moléculaire 463 g/mol cristallise dans deux systèmes classiquement trouvés pour ce type de structure à faible degré de symétrie i.e. triclinique et monoclinique. La forme I possède deux molécules par maille élémentaire et la forme II quatre. La masse volumique théorique de la forme I est légèrement plus faible que celle de forme II (données vérifiées expérimentalement par pycnométrie à hélium). Cela suggère, avec toutes les précautions d'usage (voir règle de la masse volumique), que la forme II est la plus stable thermodynamiquement au zéro absolu.
Toutes les caractérisations ont bien sûr été effectuées.
On note, d'une part que les tracés sont très différents, ce qui permet de développer une méthode de recherche de la forme I dans la forme II et réciproquement. Par ailleurs on voit l'excellent accord entre le diagramme théorique et expérimental pour la forme II (le même exercice a été fait pour la forme I).
Les figures suivantes présentent les spectres en infrarouge pour la forme I et La forme II. Là encore, on voit bien que les spectres sont différents et caractéristiques des deux formes. Cette technique est d'ailleurs utilisée en routine, comme identification dans la monographie de contrôle de qualité.
Il nous faut maintenant en savoir un peu plus sur la thermodynamique du système.
Comme nous l'avons expliqué dans la partie théorique, l'ACD[19] et la détermination de la solubilité dans un solvant donné vont permettre de connaître les domaines de stabilité de ces deux formes en fonction de la température sous une pression donnée.
Sur la figure suivante sont représentées les courbes de solubilité dans le méthylcyclohexane de la forme I et de la forme II en fonction de la température.
On note que dès 40 °C ,la solubilité de la forme I est légèrement supérieure à celle de la forme II, prouvant qu'au dessus de cette température c'est la forme II qui est le plus stable. En dessous de cette température cependant les solubilités sont tellement proches que l'on ne peut savoir s'il y a ou non un point de croisement qui définirait une énantiotropie.
Nous savons cependant, d'après la règle de la masse volumique, que la forme II est sans doute la forme la plus stable à 0K, ce qui définirait de facto un système monotrope comme représenté sur la figure suivante.
On effectue alors une étude par ACD[19]. La figure qui suit représente les traces ACD[19] obtenues pour la forme I et la forme II.
La détermination des températures et des enthalpies de fusion a été réalisée sur 25 lots différents. Les valeurs moyennes et les coefficients de variation (CV en %) obtenus sont :
\Delta h_f^1 = 65,4\textrm{ J/g} \quad (CV = 2,0\%) | \Delta T_f^1 = 155,9\textrm{ °C} \quad (CV = 0,3\%) |
\Delta h_f^2 = 66,7\textrm{ J/g} \quad (CV = 2,4\%) | \Delta T_f^2 = 157,0\textrm{ °C} \quad (CV = 0,5\%) |
La réalisation d'une analyse statistique montre que les valeurs moyennes sont statistiquement différentes au niveau de risque p=0.05.
L'application de la règle des enthalpies de fusion confirme (au moins dans cette zone de pression correspondant aux points triples) que le système est bien monotrope, puisqu'à la plus haute température de fusion correspond la plus grande chaleur de fusion. Le diagramme théorique G\left( T \right) peut être alors tracé :
On peut se poser maintenant la question suivante : est-ce que le rapport de solubilité, qui est rappelons-le indépendant du solvant utilisé, peut laisser craindre une éventuelle différence en termes de biodisponibilité ?
On voit parfaitement, qu'à 37 °C la précision des mesures près, les solubilités sont très proches et qu'il n'y a pas à craindre de différence de biodisponibilité entre les deux formes. Dans ce cas, sauf raisons liées aux habitus des particules, c'est toujours la forme cristalline la plus stable qui sera choisie pour le développement du médicament.
Pour avoir une idée de la différence de potentiel chimique entre la forme I et la forme II, on peut appliquer l'expression de la différence d'énergie libre[26] aux résultats de solubilité obtenus à 90 °C (courbes de solubilité[27]) :
Cette valeur est tellement faible qu'on peut considérer que les deux polymorphes sont quasi iso-énergétiques. Mais comme elle existe, le choix de la forme II s'est très logiquement imposé. La figure suivante montre la morphologie des cristaux de la forme II.
La morphologie en bâtonnet ne présente pas de problème particulier dans la mesure où après broyage de la poudre, on obtient des particules relativement isotropes et parfaitement maniables pour fabriquer un comprimé par exemple.