Cinétique de dissolution et biodisponibilité
C'est un aspect fondamental qui concerne tous les médicaments absorbés par voie orale comme les comprimés, les gélules et les suspensions. Le principe actif (PA[1]), la plupart du temps sous forme cristalline, est mélangé avec des excipients, eux aussi la plupart du temps se présentant sous forme de poudres plus ou moins cristallines. Le mélange obtenu est en général soumis à des opérations de granulation aqueuse, de séchage et de compression c'est-à-dire autant de conditions mettant en jeu des températures, de la pression et de l'eau. Il y a priori plein de raison d'influer sur la nature cristalline des entités présentes dans la formulation.
Par ailleurs il faut comprendre comment un médicament absorbé par voie orale fonctionne. Sur la figure qui suit, nous avons essayé de résumer le processus in vivo de dissolution et d'absorption d'un PA[1] à partir d'une forme orale solide (comprimés, gélule,...) le long du tractus gastro-intestinal (GI[2]) et de son passage dans la circulation sanguine. Hormis le cas d'actions locales, il est en effet nécessaire que le PA[1] rentre dans la circulation sanguine pour être transporté sur ses sites d'action. Une fois absorbé par la bouche, le comprimé par exemple, va arriver dans l'estomac (dont on peut simuler le contenu à partir de solutions d'acide chlorhydrique pH=1\, 2 -4.0) où il va se désagréger en petites particules contenant le PA[1] cristallisé. Le PA[1] va progressivement se dissoudre à partir de ces agrégats d'abord dans l'estomac puis tout le long de l'intestin (dont le contenu peut être simulé par un liquide aqueux de pH allant de 4.0 à 6.5) ; La remarque fondamentale est que seules les molécules de PA[1] à l'état dissous dans le système GI[2] pourront diffuser à travers les parois bi-lipidiques séparant le tractus GI[2] des vaisseaux sanguins.
En simplifiant à l'extrême (on ne tiendra pas compte du métabolisme), on voit que plus la concentration en molécule dissoute sera importante du côté de la paroi du système GI[2], plus de molécules seront susceptibles de diffuser et donc d'arriver dans la circulation sanguine (diffusion passive de type loi de Fick).
Finalement la concentration plasmatique C_P est fonction :
de la concentration au niveau des parois, est elle-même dépendante de la cinétique de dissolution in vivo de la molécule hors de sa formulation ;
de la perméabilité intrinsèque P de la molécule en tant que telle à travers la paroi bi-lipidique.
La perméabilité étant considérée comme fixée par la structure de la molécule à développer, on voit que la concentration plasmatique C_P (c'est ce que l'on appelle la biodisponibilité d'un médicament) pourra être éventuellement significativement influencée par la cinétique de dissolution in vivo. En particulier pour les molécules peu solubles en milieu aqueux, on peut avoir les trois situations représentées sur la partie droite de la figure précédente. Le cas A correspond à une cinétique de dissolution trop rapide menant à des C_P dépassant le seuil de toxicité. Le cas C correspond au contraire à une cinétique trop lente conduisant à une valeur de C_P trop faible pour permettre au médicament d'être efficace. Il faut donc avoir une connaissance précise des facteurs pouvant modifier la cinétique de dissolution in vivo. Ils sont pour le moins au nombre de deux :
La cinétique intrinsèque de dissolution in vitro de la forme cristalline i sélectionnée pour le PA[1] i.e. J_0^i = K_i . C_{m, i} et qui fait référence à la structure tridimensionnelle ;
La forme externe ou habitus des particules de PA[1] ainsi qu'à leur distribution granulométrique. Ce deuxième aspect joue pour le moins un rôle aussi important que le précédent au niveau de la cinétique de dissolution sans oublier son importance sur l'aptitude à la fabrication industrielle (coulabilité dans les trémies d'alimentation par exemple).
Remarque :
D'autres aspects doivent être pris en compte touchant à la nature des excipients (utilisation de tensioactifs, par exemple), mais ce n'est pas le propos de ce cours.
On voit donc que dans certains cas, il faudra peut être choisir la forme cristalline la plus instable pour améliorer le biodisponibilité (rôle de J_0) mais également jouer avec la taille des particules (micronisation par exemple).
La figure suivante montre un intéressant exemple, celui de l'ampicilline qui peut être obtenu suivant deux formes cristallines : anhydre et trihydrate. ( Morris, 1999[5], Ali et col., 1981[6])
Il va nous permettre à titre d'exercice d'appliquer les principaux concepts vus jusqu'à présent :
Les cinétiques intrinsèques de dissolution in vitro montrent que jusque vers 40 °C c'est le trihydrate qui présente la cinétique la plus lente et est donc la forme la plus stable. Au-dessus, les stabilités vont s'inverser. On retrouve la règle générale qui veut qu'une forme hydratée est toujours moins soluble dans l'eau que les formes non hydratées ;
Nous ne pouvons ici pas strictement parler d'énantiotropie puisque les formules brutes de la forme anhydre et du trihydrate sont différentes. Mais cela y ressemble fortement.
Nous sommes ici dans un cas où les cinétiques de dissolution sont suffisamment différentes pour anticiper une différence de biodisponibilité entre les deux formes. C'est effectivement le cas (figure de droite).
Très longtemps on a cru que les deux formes étaient bio-équivalentes. On s'est aperçu en fait que les modes de fabrication utilisés pour obtenir d'une part un comprimé de forme anhydre et d'autre part un comprimé de forme trihydrate passait par une granulation humide. Celle-ci, mal contrôlée, induisait systématiquement une transformation de la forme anhydre en trihydrate, ce qui amenait à comparer le trihydrate à lui-même. Il faudra donc impérativement, dans tout développement pharmaceutique, vérifier le statut physique du Principe Actif[1] au sein de sa formulation, à l'aide des méthodes analytiques présentées plus haut.
Nous allons citer un dernier exemple d'influence de la structure cristalline sur la solubilité, et donc la cinétique de dissolution. La novobiocine est un antibiotique qui sous sa forme acide non ionisée présente une faible solubilité aqueuse. Même micronisée, sa cinétique de dissolution en milieux aqueux (pH=1) reste faible (Figure suivante). Cette même molécule une fois transformée en sel de calcium et la poudre obtenue micronisée se dissout très rapidement. Si nous reprenons la forme acide non ionisée et que nous obtenions par un procédé quelconque le produit sous forme amorphe, la cinétique de dissolution devient totalement comparable à celle du sel de calcium.
Temps (h) | Acide de novobiocine cristallisé et micronisé | Novobiocine sel de calcium micronisé | Acide de novobiocine amorphe |
---|---|---|---|
0,5 | nd | 9,0 | 5,0 |
1 | nd | 16,4 | 40,6 |
2 | nd | 26,8 | 29,5 |
3 | nd | 19,0 | 22,3 |
4 | nd | 15,7 | 23,7 |
5 | nd | 13,8 | 20,2 |
6 | nd | 10,0 | 17,5 |
La biodisponibilité des deux différentes formes (novobiocine sel de calcium micronisé et acide novobiocine amorphe) mesurée chez le chien est en excellente corrélation avec les cinétiques de dissolution in vitro.