Introduction et vocabulaire
L'agglomération des suspensions est un phénomène très courant dans les réacteurs de cristallisation et de précipitation.
Schématiquement, au début d'une précipitation, la sursaturation élevée conduit à la production de germes (nanométriques) qui grossissent. Au fil du temps, la sursaturation baisse. La nucléation des particules et, dans une certaine mesure, leur croissance cristalline, sont fortement ralenties. La présence de nombreuses et grosses particules, ainsi que le faible niveau de sursaturation favorisent alors de nouveaux phénomènes, comme la collision et le collage des particules.
Définition : agglomération
L'agglomération (au sens large) d'une suspension est la collision-agrégation suivie d'un collage entre particules solides dans le fluide suspendant. Une agglomération est le fruit d'une collision binaire efficace entre particules, suivie d'une non-dissociation par le champ des vitesses ou les chocs divers. Ces phénomènes sont essentiellement binaires, car les collisions ternaires ou de rang plus élevé sont rares.
Ces processus sont bien évidemment répétitifs et peuvent conduire à des agglomérats de forte taille par rapport aux particules initiales.
Précisons tout d'abord le vocabulaire
L'agrégation[2] (ou coagulation[3]) est le phénomène de base : l'objet issu de la collision de particules primaires (germes ayant grossi) est un assemblage de ces dernières, qui gardent donc leur individualité. L'agrégat est par conséquent fragile. A l'inverse, on parlera de désagrégation[4] pour la rupture d'un agrégat.
L'agglomération[5] est une agrégation[2] associée à de la croissance cristalline (la sursaturation est faible, mais non nulle) : la liaison entre particules primaires est consolidée par la formation d'un col cristallin. L'agglomérat est en général cohésif. Il se détruit donc par une brisure[6].
La coalescence[7] est une agrégation[2] qui conduit à un objet de même forme que les particules primaires (coalescence de gouttes liquides) : la particule primaire y a perdu toute individualité.
La floculation[8] est une agrégation[2] favorisée par la présence de molécules de polymère (floculant) assurant un pontage entre particules primaires.
Nous commencerons par étudier l'agrégation[2] (qui est le phénomène de base). Elle a donné lieu à de nombreux travaux expérimentaux et théoriques.
Deux phénomènes de base, apparemment (seulement) indépendants, participent à l'agrégation[2] :
la collision des particules, laquelle est guidée par l'hydrodynamique du milieu suspendant ;
l'interaction physique entre particules : des forces attractives ou répulsives favoriseront ou non la collision et le collage.
Nous allons examiner rapidement ces deux phénomènes.
Fondamental :
Il faut se souvenir que, pour les agrégations[2] et agglomérations[5], comme d'ailleurs pour les brisures[6], c'est la somme des volumes ou des masses des particules et non celle des tailles qui est conservée.
Trois situations de mouvement prédominant pour la collision se rencontrent dans la pratique
L'agrégation[2] en milieu solvant au repos (par exemple, lors du stockage d'une suspension) ;
L'agrégation[2] dans un milieu en écoulement laminaire (par exemple, suspension dans une tuyauterie) ;
L'agrégation[2] dans un milieu turbulent (par exemple, suspension dans un réacteur agité).
Le mouvement Brownien (agitation thermique) est la cause des collisions conduisant à l'agrégation dans un milieu stagnant (au repos) ou, dans des milieux agités, entre des particules de très faibles tailles.
Dans un écoulement laminaire, il existe des gradients de vitesse locaux ; des particules en suspension, de taille supérieure à l'échelle de Batchelor[10] {l}_{B}[10] relative à la particule, portées par le fluide, suivent des "lignes de courant" contiguës à des vitesses différentes rendant ainsi possible les collisions. Plus la vitesse de cisaillement est élevée, plus rapide est l'agrégation.
Dans un écoulement turbulent, deux cas doivent être envisagés suivant la taille {d}_{\mathrm{p1}} des particules primaires :
si {l}_{B}<{d}_{\mathrm{p1}}<{l}_{K}, les particules évoluent dans l'écoulement laminaire associé au domaine visqueux de la turbulence. La constante cinétique relative à l'agrégation laminaire est alors étendue au cas de l'agrégation turbulente en prenant pour vitesse de cisaillement l'expression :
\dot{\gamma }\approx {\left(\frac{{\varepsilon }_{m}}{\nu }\right)}^{1/2}
Ce cas est celui qui est le plus souvent rencontré : dans un précipiteur de quelques litres, le diamètre des particules primaires est rarement supérieur à 10\mu m, alors que l'échelle de Kolmogoroff[12] est de l'ordre de 50\mu m.
si {d}_{\mathrm{p1}}>{l}_{K}, les particules évoluent dans le domaine inertiel de la turbulence. Leur mouvement est souvent considéré comme stochastique, même si des corrélations existent entre leur position et leur vitesse. Cette schématisation conduit à appliquer la théorie cinétique des gaz à la dynamique de l'agrégation de grosses particules.
Les différents cas d'écoulement global et de mouvement prédominant pour la collision sont récapitulés dans le tableau ci-dessous.
Mouvement prédominant pour la collision des particules | Écoulement global | ||
---|---|---|---|
Immobile | Laminaire | Turbulent | |
Brownien | dans tous les cas | d_{p1} < l_B | d_{p1} < l_B |
Laminaire | sans objet | d_{p1} > l_B | l_B < d_{p1} < l_K |
Turbulent | sans objet | sans objet | d_{p1} > l_K |
Un certain nombre de paramètres physico-chimiques (pH, force ionique, nature du solvant, additifs) sont susceptibles de modifier l'interaction entre particules et donc l'agrégation
Une suspension, dont le point de charge nulle (mesuré par l'intermédiaire du potentiel zêta) est atteint, va s'agréger rapidement. Le potentiel zêta est une fonction du pH de la solution. Ainsi, suivant le pH, des particules vont s'agréger ou non.
Une force ionique élevée (due par exemple à une concentration élevée en chlorure de potassium) conduit à une agrégation rapide.
Un solvant apolaire (heptane) conduit à l'agrégation rapide d'une suspension d'alumine.
L'effet des additifs (en général des polymères) est complexe. Celui-ci doit être élucidé à partir des isothermes d'adsorption (du polymère), du potentiel zêta en fonction de la concentration en polymère.
Historiquement, ces deux phénomènes ont été étudiés séparément : d'abord la collision (théorie de Von Smoluchowski, 1916[15]), puis les forces d'interaction entre particules ( théorie DLVO, 1948[16]). Deux approches ont ainsi été développées :
une approche statique (ou thermodynamique) où il s'agit de quantifier les forces d'interaction ;
une approche dynamique (ou cinétique), où l'on cherche à déterminer un temps caractéristique ou une vitesse d'agrégation.
Ce n'est que plus tardivement que ces deux approches ont été mariées.
Nous allons reprendre le même enchaînement historique.