Pourquoi le mélange des réactifs d'une cristallisation ou d'une précipitation nous intéresse-t-il ?

La vitesse des processus physiques et des réactions chimiques que nous mettons en œuvre dans les procédés de l'industrie de transformation dépend de leur force motrice respective (le thermodynamicien parlera d'affinité) : elle est la traduction quantitative de l'écart de l'état – pression, température, composition – que nous y provoquons, à celui d'équilibre physico-chimique du processus ou de la réaction. Dans le cas de la cristallisation, les processus de génération de solide sont la nucléation et la croissance, et leur force motrice commune est la sursaturation relative[1], caractérisant l'écart à l'équilibre de solubilité du produit solide. Dans celui de la cristallisation réactive ou de la précipitation à partir d'alimentations séparées de deux réactifs, une réaction chimique homogène de formation du précurseur peu soluble de l'espèce solide précède la nucléation et la croissance, et sa force motrice est l'écart à l'équilibre chimique. Dans les deux derniers cas, la vitesse d'apparition de germes (en anglais « nuclei »), ou taux de nucléation, qui conditionne celle des particules solides et leur taille finale, peut s'avérer limitée par celles des processus de mise en contact des molécules de réactifs, apportées par des alimentations séparées. A moindre proportion, peut apparaître une compétition entre la génération de sursaturation locale et sa réduction par la croissance de l'ensemble de germes formés.

Pour l'étude de la cristallisation réactive et de la précipitation, le contrôle, voire la prédiction, des propriétés – composition, structure, granulométrie – des suspensions de particules solides issues de cristallisoirs et de précipiteurs industriels, implique la compréhension des processus de mélange ( Marcant et David, 1991[2]), depuis l'alimentation des fluides réactifs jusqu'à leur mélange à l'échelle moléculaire. Cette compréhension est nécessaire pour permettre sa traduction en modèles hydrodynamiques, tels que leurs paramètres (essentiellement des temps caractéristiques) puissent être reliés à des grandeurs macroscopiques (débits, géométrie et dimension de l'organe de mélange), et aux propriétés physico-chimiques des fluides. Ces processus conservent les débits de matière et de quantité de mouvement, et donc d'énergie associée, mais ils augmentent le degré d'incohérence de ces trois extensités, depuis les dimensions d'un mélangeur mécanique et d'un tuyau d'injection à celle des molécules. Notamment ils dégradent une bonne partie de l'énergie mécanique apportée en chaleur.

On désignera donc ici par « processus de mélange » - plutôt que de « mélangeage », qui suppose une mise en œuvre « humaine », les phénomènes tendant à « augmenter le degré d'homogénéité d'un ensemble de corps ».

L'approche de la mécanique des fluides par ses utilisateurs en Génie Chimique a conduit à distinguer 3 niveaux de processus de mélange d'un fluide dans un autre ( Beek et Miller, 1959[3], Interaction entre l'agitation et le mélange[4]) :

  • à la plus grande échelle, celle d'une cuve avec mélangeur mécanique ou d'un tube, il est essentiellement convectif – on le désigne par « macro-mélange ». Son temps caractéristique est un temps de circulation induit par le débit de pompage dans le mélangeur mécaniquement agité ou le temps de passage dans le dispositif de mélange tubulaire (jets d'alimentation en « T », en « Y », jets tangentiels, tubes garnis de mélangeurs statiques, etc) et dépend de la géométrie, de la viscosité du fluide et de la puissance mécanique spécifique moyenne dégradée dans le mélangeur ;

  • sous l'appellation de « méso-mélange », sont désignés la dispersion turbulente du jet d'une alimentation en paquets de fluide de taille fixée par la turbulence (« échelle intégrale de turbulence »), puis leur gonflement par vorticité et incorporation de fluide en place. Leurs deux temps caractéristiques dépendent de l'hydrodynamique et de la puissance mécanique spécifique dégradée locales ;

  • le « micro-mélange » désigne enfin d'une part la formation de tourbillons de couches lamellaires des 2 fluides interposés par engouffrement et étirement, puis la diffusion moléculaire à l'échelle de ces couches. Le temps d'engouffrement dépend encore de la puissance mécanique dégradée localement, et de la viscosité cinématique. Le temps de micro-mélange par diffusion en dépend également, puisque l'épaisseur des couches, dite échelle de Kolmogoroff[4], est déterminée par l'étirement des tourbillons.

Cependant, le plus souvent, l'un des phénomènes de micro-mélange est de temps caractéristique nettement supérieur aux autres, et donc limitant : pour des solutions aqueuses en conditions proches de la température ambiante, le phénomène d'engouffrement est le plus lent.