Durcissement par traitement thermique
Durcissement structural des alliages d'aluminium
Le durcissement structural des alliages d’aluminium, appelé aussi durcissement par précipitation, provient de la formation contrôlée dans l’alliage d’une seconde phase de module de cisaillement supérieur à celui de la matrice. Les particules précipitées offrent donc par nature une meilleure résistance au déplacement des dislocations, mais au-delà de leur caractéristique cristallographique, leur taille et leur distribution dans la matrice jouent un rôle fondamental dans le durcissement. La précipitation résulte d’une séquence de traitement thermique composée d’une première phase de mise en solution suivie d’une trempe puis d’un revenu. Seuls les alliages d’aluminium des séries 2000 , 6000 (\ce{AlMgSi}) et 7000 (\ce{AlMgZn}) ont la capacité de durcir par précipitation. En relation avec leur diagramme d’équilibre, les alliages sont biphasés à l’état de livraison. La solubilité des éléments d’alliage, quels qu’ils soient, étant très limitée à température ambiante dans l’aluminium, les alliages sont constitués d’une solution solide en aluminium quasi pur (phase \alpha) et d’une seconde phase, sous forme de précipités grossiers préférentiellement localisés le long des joints de grains (phase \beta). Typiquement, la limite d’élasticité de l’alliage 7075 (\ce{AlMgZn}) dans cet état métallurgique est de l’ordre de {150}{\rm \, MPa}.
L’objectif du traitement thermique de durcissement est d’augmenter la limite d’élasticité jusqu’à la valeur usuelle pour ce type de matériau à savoir {450}{\rm \, MPa} environ, ce qui est particulièrement significatif.
Lors de la mise en solution (Fig. précédente), l’alliage est porté à une température supérieure à la température de solvus T_2 (environ {475}{\rm \, °C} pour l’alliage 7075). Les précipités grossiers se dissolvent dans la matrice aluminium grâce à des processus de diffusion et une solution solide est obtenue en accord avec les indications données par le diagramme d’équilibre : l’alliage est monophasé \alpha. À l’échelle atomique, l’aluminium et les éléments d’alliage sont répartis de manière aléatoire dans la solution solide \alpha (Fig. suivante). La durée du traitement de mise en solution dépend bien sûr de la massivité de la pièce, mais demeure relativement courte, par exemple 30 minutes à 1 heure, car la diffusion au-dessus du solvus est rapide. Le traitement de mise en solution est illustré par la séquence de microscopie électronique en transmission in situ montrant la dissolution progressive d’un précipité de germanium dans l’alliage modèle \ce{AlGe}.
L’étape suivante du traitement vise à figer à température ambiante la solution solide formée à haute température. Ceci est réalisé grâce à une trempe dans un milieu de sévérité donnée, traditionnellement de l’eau. Les processus de diffusion provoquant une précipitation de la phase \beta n’ont pas assez de temps pour se développer et une solution solide sursaturée, contenant en son sein plus d’éléments d’alliage que la thermodynamique d’équilibre ne le prévoit, est maintenue (figures suivantes).
Cette phase, hors d’équilibre, est éminemment métastable. La mesure de la limite d’élasticité du matériau après trempe montre qu’aucun durcissement n’est obtenu. Un léger durcissement de solution solide peut cependant être mesuré. Le durcissement significatif résulte de la troisième phase du traitement, le revenu qui va permettre, par maintien du matériau à une température inférieure à la température de solvus pendant un temps donné, de provoquer la précipitation de la phase \beta en contrôlant précisément la taille et la distribution des particules durcissantes (figures suivantes). L’équivalence temps t / température T caractéristique des processus de diffusion permet de choisir des couples de paramètres (t,T) différents pour obtenir un durcissement maximal. Pour l’alliage 7075, un traitement de 2{\rm \, h} à {110}{\rm \, °C} offre un bon compromis. Si le traitement est prolongé (respectivement écourté), alors la température de revenu devra être plus basse (respectivement plus élevée) pour obtenir un durcissement équivalent.
Une expérience particulièrement élégante est couramment utilisée pour déterminer les températures optimales de revenu des alliages d’aluminium à durcissement structural. Elle consiste à placer, pour une durée donnée, un barreau d’alliage de section carrée, préalablement mis en solution et trempé, dans un champ de température stationnaire généré par le positionnement d’une extrémité de l’éprouvette dans un four et de l’autre l’extrémité dans un cryostat (figure suivante).
La dureté, simple à déterminer par des méthodes classiques d’indentation de type Brinell, est mesurée au droit de points équidistants dont la température a été déterminée grâce à des thermocouples (figure suivante).
Dans les zones ayant subi un revenu à trop basse température, la diffusion n’est pas suffisante et l’alliage ne forme que des amas peu durcissants (sous-revenu). Les dislocations, lorsque le matériau est déformé, cisaillent facilement ces amas d’atomes et en conséquence la limite élastique du matériau reste faible. Symétriquement, les zones ayant subi un revenu à trop haute température sont pourvues de précipités de grande taille, très distants les uns des autres qui résultent d’une diffusion activée thermiquement de façon trop prononcée et ne présentent pas de durcissement significatif (sur-revenu). Les dislocations contournent facilement les précipités ainsi formés par croissance exagérée et coalescence. Dans le domaine intermédiaire de température, les précipités sont trop gros pour être facilement cisaillés et trop petits pour être facilement contournés, la dureté et la limite d’élasticité présentent leur valeur maximale, c’est le revenu au pic. Généralement la taille optimale des précipités est de l’ordre de quelques nanomètres à quelques centaines de nanomètres, les précipités se développant de façon anisotrope en relation avec les relations d’orientation qu’ils présentent avec la matrice en aluminium. La figure suivante décrit pour l’alliage 6056, la morphologie de quelques précipités présentant un facteur de forme important sous l’aspect de lattes (L) et d’aiguilles (N).
La figure ci-après détaille, pour ce même alliage, le mécanisme d’interaction entre une dislocation et des précipités \ce{Mg2Si}, par épinglage d’abord nécessitant un surplus de contrainte puis cisaillement lorsque la contrainte nécessaire est atteinte.
Durcissement par transformation martensitique des aciers
Dans ce cas, il s’agit de générer la formation au sein du matériau d’une phase hors d’équilibre particulièrement dure, la martensite. L’existence de cette phase est liée à la spécificité qu’ont certains éléments métalliques, par exemple le fer (mais aussi le titane) de présenter selon la température des structures cristallines différentes. On dit que ces éléments subissent des transformations allotropiques. Par exemple le fer est cubique centré en dessous de {912}{\rm \, °C}, cubique à faces centrées entre {912}{\rm \, °C} et {1394}{\rm \, °C} et cubique centré à nouveau au-dessus de {1394}{\rm \, °C}. La martensite est une phase obtenue par refroidissement rapide (trempe) qui ne permet pas aux équilibres thermodynamiques de s’établir et aux processus diffusionnels d’opérer. La martensite est une phase métastable. La transformation qui donne naissance à la martensite est une transformation sans diffusion dite displacive car elle résulte d’un déplacement collectif des atomes du réseau cristallin du fer sur de très faibles distances, inférieures à la distance inter-atomique.
La figure suivante détaille le diagramme d’équilibre \ce{Fe-C}. Bien que, par nature, il ne montre pas la présence de la phase martensitique, il est particulièrement utile pour décrire le traitement de durcissement des aciers. Selon la température et la teneur en carbone, les phases en présence sont les suivantes :
la ferrite \alpha, stable à basse température et la ferrite \delta, stable à (très) haute température : ce sont des solutions solides de carbone dans le fer de structure cubique centrée (la solubilité de \ce{C} dans \alpha et \delta est très faible quelle que soit la température),
l’austénite \gamma, stable à haute température : c’est une solution solide de carbone dans le fer de structure cubique à faces centrées (la solubilité de \ce{C} dans \gamma est très forte)
la cémentite, composé défini à {6,67}{\%} en masse de carbone : c’est le carbure de fer de stœchiométrie \ce{Fe3C}.
Le profil et la séquence du traitement thermique de durcissement par transformation martensitique sont similaires à ceux du traitement de durcissement structural décrit précédemment pour les alliages d’aluminium. L’étape initiale est la mise en solution du carbone contenu dans la ferrite \alpha (on parle d’austénitisation en référence au nom de la phase formée pendant le traitement). Ceci est réalisé en portant l’alliage à haute température dans le domaine de stabilité de l’austénite \gamma. Ce faisant, la maille cristalline du fer est modifiée, elle passe d’un réseau \ce{CC} à un réseau \ce{CFC}, la cémentite est déstabilisée et le carbone libéré est dissous dans la matrice \ce{CFC} nouvellement formée. L’étape suivante est la trempe. Cette phase du traitement a deux effets majeurs sur le matériau :
elle fige en solution solide le carbone pour former une solution solide sursaturée de façon très similaire à ce qui se produit lors du durcissement structural des alliages d’aluminium,
elle génère la transformation cristallographique du fer qui passe d’une structure \ce{CFC}, l’austénite, à une structure quadratique centrée, la martensite (figure suivante). En toute rigueur et si le carbone ne restait pas piégé en solution solide, la phase \gamma devrait se transformer en ferrite \alpha de structure \ce{CC}. À cause d’effets purement stériques, ce retour n’est pas possible et la maille formée est un cube centré sensiblement déformé présentant un paramètre c légèrement supérieur au paramètre a (structure quadratique centrée).
La martensite se développe selon plusieurs variantes sous forme de lattes ou d’aiguilles et présente un volume de mailles supérieur à celui de l’austénite dans laquelle elle prend naissance. Ceci confère au matériau un durcissement conséquent au travers des contraintes résiduelles significatives qui en résultent. En outre, le durcissement de solution solide apporté par le carbone présent dans la martensite est important. À ce titre, c’est uniquement la teneur en carbone qui fixe la dureté maximale pouvant être atteinte par trempe martensitique d’un acier. À ce stade du traitement, l’acier est tellement dur qu’il perd toute ductilité. Cette fragilité n’est pas acceptable pour une utilisation sûre du matériau et l’acier est systématiquement traité par revenu afin de l’adoucir, on obtient une martensite revenue. Les températures de revenu varient dans une large gamme allant de {200}{\rm \, °C} à {600}{\rm \, °C} selon le compromis résistance mécanique/ductilité recherché. Notons qu’un revenu dans la gamme de 300-{400}{\rm \, °C} est proscrit car il provoque la précipitation de phases intermétalliques fragilisantes, on parle de fragilité de revenu ou de fragilité au bleu en référence avec la couleur des oxydes se formant à la surface des aciers dans ce domaine de température.
Selon le volume de la pièce traitée et la nature de l’acier, le traitement de trempe est efficace sur une profondeur plus ou moins importante. La trempabilité d’un acier désigne la capacité plus ou moins grande qu’il a à générer une transformation martensitique en profondeur. Les aciers auto-trempants sont les aciers qui durcissent à cœur lors d’un refroidissement naturel à l’air. La plupart des aciers ne durcissent par transformation martensitique que sur une certaine profondeur qui peut être appréciée grâce à un essai simple, normalisé, l’essai Jominy.
L’essai Jominy consiste à tremper, après austénitisation, une éprouvette cylindrique par une extrémité à l’aide d’un jet d’eau. L’extrémité trempée subit un refroidissement violent et les différentes sections de l’éprouvette sont sujettes à des refroidissements différents : un gradient de vitesse de refroidissement s’établit. Compte tenu des différences importantes de conductivité thermique entre le métal et l’air environnant, l’essai Jominy est ainsi très représentatif du refroidissement en profondeur d’une pièce massive.
La figure suivante présente le diagramme TRC (transformation en refroidissement continu) schématique d’un acier qui est construit à partir de la superposition sur un diagramme TTT, de profils de refroidissement définis par une vitesse V_R = - d T/ d t. On distingue trois domaines :
le domaine I de refroidissement lent :
dans ce cas V_R < V_2, on atteint l’état d’équilibre et on forme par diffusion les phases \alpha (ferrite) et \ce{Fe3C} (cémentite),
le domaine II de refroidissement intermédiaire :
dans ce cas V_1 < V_R < V_2, on atteint un état intermédiaire et on forme un composé appelé bainite,
le domaine III de refroidissement rapide :
dans ce cas V_R > V_1, on forme la martensite.
Cette figure montre également le principe de l’essai Jominy. La forme de l’éprouvette testée est décrite ainsi que le profil de dureté mesurée sur son axe longitudinal. On remarque que la dureté diminue de manière monotone depuis l’extrémité trempée jusqu’à l’extrémité opposée qui a subi le refroidissement le plus lent. Sur la courbe de dureté, les domaines I, II et III décrits précédemment sont reportés.
La profondeur de trempe correspond à la distance sous la surface, ayant subi la transformation martensitique (domaine I). C’est donc sa valeur d, appelée également distance Jominy, qui permettra d’apprécier la trempabilité d’un acier. Cette distance augmente essentiellement avec la teneur en éléments d’alliage, la teneur en carbone fixant quant à elle le niveau de dureté maximale atteint à l’extrême surface. Par exemple, l’addition de {1}{\% \,\ce{Mn}} (respectivement {1}{\% \,\ce{Cr}}, respectivement {1}{\% \,\ce{Mo}}) permet de multiplier la profondeur de trempe par 4 (respectivement 3,2, respectivement 3,8). Ces éléments (\ce{Cr}, \ce{Mo}, \ce{Mn}, \ce{V}) ralentissent la formation des phases d’équilibre qui résultent généralement d’une germination hétérogène sur les joints de grains de la phase mère austénitique. Ainsi, les courbes TTT sont déplacées vers la droite et le domaine III est étendu. Ces éléments, chers, n’ont pas vocation à augmenter la dureté mais uniquement la profondeur de trempe.
En relation avec leur composition chimique, la microstructure de certains aciers devient martensitique quelle que soit la vitesse de refroidissement consécutive à la phase d’austénitisation. Ces aciers, aux propriétés particulières, sont dits auto-trempants. C’est le cas de la nuance \ce{35NiCrMo}16 dont l’application emblématique est la fabrication des trains d’atterrissage d’aéronefs. De tels matériaux ne requièrent pas un milieu de trempe de sévérité importante lors de leur traitement thermique, et leur courbe Jominy est simplement une droite globalement horizontale (figure précédente).
Si la teneur en carbone est suffisante, l’état brut de trempe est très dur mais très fragile : un acier n’est jamais utilisé dans cet état métallurgique. Il subit un revenu qui consiste en un chauffage à une température inférieure à la température de l’eutectoïde. Le carbone quitte en partie la martensite par diffusion pour former de la cémentite \ce{Fe3C}. La martensite devient moins dure et moins volumineuse ce qui diminue les contraintes résiduelles et la fragilité est diminuée.
Par rapport à l’état brut de trempe (figures suivantes) :
la limite élastique, la résistance à la traction et la dureté diminuent,
l’allongement à rupture, la résilience \ce{Kc_U} et la ténacité \ce{K_{1c}} augmentent.
Les traitements thermiques de durcissement structural caractéristiques des alliages d’aluminium et les traitements thermiques de durcissement par transformation martensitique caractéristiques des aciers mettent en jeu des mécanismes microstructuraux très différents. Ce sont essentiellement des phénomènes de diffusion qui apportent le durcissement des alliages d’aluminium alors que c’est une transformation sans diffusion qui confère leur durcissement aux aciers. Il est important cependant de noter que la terminologie employée est identique pour les deux types d'alliage, mais les différentes étapes de mise en solution, trempe et revenu ont des effets très différents dans les deux cas de traitement. La figure suivante résume les analogies terminologiques et les différences métallurgiques qu’il convient de garder en mémoire.
Dans le cas du durcissement structural, l’étape de trempe fige la structure haute température (solution solide sursaturée) et ne durcit pas (seul un léger durcissement de solution solide peut être mesuré). C’est le revenu qui provoque le durcissement grâce à la précipitation homogènement répartie de fines particules de seconde phase. Dans le cas du durcissement par transformation martensitique, la trempe durcit grâce à la transformation de l’austénite en martensite et le revenu adoucit l’acier.