Germination et croissance d'une nouvelle phase
Les transformations par diffusion, thermiquement activées, produisent en nature et en quantité les phases prévues par le diagramme de phases si elles sont réalisées à vitesse très lente (1 {\rm \, °C . h^{-1}}). Au plan industriel et pour des raisons économiques, les vitesses sont supérieures. Souvent, l’état d’équilibre stable n’est pas atteint. De plus, pour des alliages industriels, contenant couramment de 5 à 15 éléments d’alliage, l’état le plus stable n’est pas connu (on sait l’établir complètement pour les alliages binaires ou ternaires).
De façon générale, au sein d’une phase mère se développe une nouvelle phase par germination et croissance.
Prenons comme exemple, l’équilibre \ce{Liquide <-> Solide}. Au cours de la solidification (\ce{L -> S}), les structures qui se développent, qui dépendent des conditions de la transformation (vitesse, température) ont une grande influence sur les propriétés finales des matériaux, quelle que soient les étapes ultérieures de fabrication. Les principaux paramètres qui dépendent des conditions de solidification sont :
la taille des grains,
l’orientation des grains,
la taille des particules de seconde phase,
la dispersion et la distribution de ces particules,
la distribution des éléments d’alliages.
À l’équilibre \ce{L <-> S} (à la température de fusion T_F), l’énergie libre du liquide G_L est égale à l’énergie libre du solide G_S. Pour que la solidification progresse (réaction exothermique), la chaleur latente de solidification L doit être extraite du système. De plus pour que la solidification ait lieu, il faut que \Delta G < 0, c’est-à-dire que G_S - G_L < 0.
À T \neq T_F, \Delta G = - \frac{L \left( T_F - T \right)}{T_F},
la condition de solidification s’écrit : \Delta G < 0\Leftrightarrow T_F - T > 0 \Leftrightarrow T < T_F
T_F - T est appelé surfusion, c’est la force motrice de la solidification. Elle traduit l’état métastable d’un corps qui reste liquide en-dessous de sa température de solidification.
Statistiquement dans un liquide, il existe un ordre à courte distance. Momentanément et localement, il peut exister des amas d’atomes ayant la structure du solide. Ces amas restent instables si T > T_F et deviennent stables si T < T_F. On parle de germes solides, ils sont de forme sphérique.
Conditions d'apparition et de stabilité des germes sphériques
Thermodynamiquement, un volume V de liquide se transforme en solide si l’énergie libre du système diminue : \Delta G = \Delta G_\textrm{volume} + \Delta G_\textrm{surface} < 0.
Pour un germe sphérique,
\Delta G = \frac{4}{3} \pi R^3\Delta G_V + 4 \pi R^2 \gamma _{LS} ,
avec R rayon du germe, \Delta G_V énergie de formation de la nouvelle phase par unité de volume (terme négatif) et \gamma_{LS} énergie superficielle de l’interface (terme positif).
À l’équilibre, le rayon critique se calcule en remarquant que :
{\left( \frac{d\Delta G}{dR} \right)}_{R^\textrm{*}} = 0 \Leftrightarrow R^{\textrm{*}} = - \frac{2 \gamma _{LS} }{\Delta G _V} = \frac{2 \gamma _{LS} T_F}{L \left( T - T_F \right) }
Si des germes sont présents dans le liquide à un instant donné, leur évolution dépend de leur rayon. Si R > R^{\textrm{*}}, alors \Delta G diminue et les germes grossissent, si R < R^{\textrm{*}}, alors \Delta G augmente et les germes se redissolvent. R^{\textrm{*}} est inversement proportionnel à la surfusion. Dans le cas du \ce{Cu} par exemple, R^{\textrm{*}} = {0,01}{\rm \, \mu m} correspond à une surfusion de {30}{\rm \, °C} et R^{\textrm{*}} = {1}{\rm \, \mu m} correspond à une surfusion de {0,3}{\rm \, °C}.
Vitesse de germination
La germination a lieu si et seulement si des germes de taille surcritique se forment (R > R^\textrm{*}). Ils proviennent de fluctuations (mouvements aléatoires d’atomes) provoquées par l’agitation thermique. Le nombre de germes de rayon R^\textrm{*} à la température T est donné par la relation :
n \left( R^\textrm{*}\right) = \textrm{C}^\textrm{ste} \cdot \exp \left( \frac{- \Delta G^\textrm{*}}{kT} \right)
La vitesse de germination dépend exponentiellement de la température (taux de germination).
Germination hétérogène
Un rayon critique R^\textrm{*}= {1}{\rm \, nm} correspond au regroupement de 100 atomes environ et correspondrait à une surfusion de {100}{\rm \, K}. Or, en pratique, quelques degrés suffisent à amorcer le changement de phase. On conclut que la germination homogène est improbable et qu’un autre mécanisme entre en jeu : il s’agit de la germination hétérogène.
Ce type de germination se produit sur un support solide, qui joue le rôle de catalyseur de la germination, comme le montre la figure ci-après.
L’expression de R^\textrm{*} est la même mais les volumes qui interviennent sont différents. La fluctuation statistique donne la même probabilité que N atomes se regroupent au sein du liquide que sur une paroi, mais le regroupement de ces N atomes correspond à un rayon plus grand quand ils s’arrangent en calotte sphérique plutôt qu’en sphère.
La paroi peut être celle du récipient contenant le liquide (lingotière), un solide immergé (ajout d’impuretés appelées inoculants pour affiner la taille de grains : \ce{Ti}, \ce{B} dans \ce{Al} ou \ce{Zr} dans \ce{Mg} ou ferrosilicium dans la fonte). Lorsque la phase mère est solide, la paroi peut être un joint de grains, une dislocation, la surface d’autres phases déjà présentes dans le matériau.
Les germes solides, lorsqu’ils sont solidifiés sous forme de grains, ne sont pas sphériques mais présentent des directions de croissance en relation avec leur système cristallin : ces grains arborescents sont appelés dendrites et sont illustrés ci-dessous.