Les paramètres de Larson-Miller
Le fluage des matériaux métalliques résulte de l’application d’une contrainte pendant une durée donnée à haute température. Ces trois paramètres jouent de manière synergétique sur le niveau de déformation et éventuellement la rupture du matériau considéré. Il est tentant de combiner ces paramètres pour exprimer les couples «contrainte \sigma - température T» conduisant par exemple à la rupture du matériau caractérisée par un temps de rupture t_R. C’est l’esprit des paramètres de Larson-Miller calculés en considérant que le temps à rupture est l’inverse de la vitesse de fluage dans le domaine secondaire (on néglige les temps de fluage primaire et tertiaire). Il vient :
t_R = \frac{1}{\dot{\varepsilon}_{st}} = \frac{1}{A \cdot \sigma^n \cdot \exp \left( \frac{-Q}{RT}\right)},
\frac{1}{t_R} = {A \cdot \sigma^n \cdot \exp \left( \frac{-Q}{RT}\right)},
-\ln \left({t_R}\right) = \ln \left( {A \cdot \sigma^n}\right) - \left( \frac{Q}{RT}\right),
\frac{Q}{R} = T \cdot \left[ ln \left( {A \cdot \sigma^n}\right) + \ln \left({t_R}\right) \right],
P = T \cdot \left[ k+ \ln \left({t_R}\right) \right].
P est le paramètre de Larson-Miller. La figure suivante représente la variation de la contrainte admissible en fonction du paramètre de Larson-Miller pour trois superalliages élaborés respectivement selon les procédés de solidification équiaxe, solidification dirigée et solidification monocristalline.
En pratique
Les paramètres de Larson-Miller, largement utilisés dans la communauté scientifique et industrielle, sont en réalité issus d’un certain nombre d’hypothèses et d’approximations que nous nous proposons de justifier à partir d’un exemple précis. Considérons un superalliage base nickel polycristallin testé en condition de fluage-rupture à différentes températures et sous différentes contraintes. Le tableau ci-après résume les résultats de ces essais.
température {\rm (°C)} | contrainte {\rm (MPa)} | temps à rupture ({\rm h}) | température {\rm (°C)} | contrainte {\rm (MPa)} | temps à rupture {\rm (h)} | |
---|---|---|---|---|---|---|
540 | 1025 | 25,1 | 595 | 910 | 27,3 | |
540 | 995 | 121 | 595 | 880 | 64,4 | |
540 | 975 | 246 | 595 | 850 | 149 | |
540 | 940 | 762 | 595 | 810 | 351 | |
540 | 900 | 1552 | 595 | 725 | 1797 | |
540 | 840 | 7006 | 595 | 650 | 9391 | |
540 | 795 | 18738 | 595 | 590 | 28480 | |
650 | 740 | 30,3 | 705 | 595 | 18,7 | |
650 | 680 | 152 | 705 | 540 | 68,6 | |
650 | 610 | 686 | 705 | 490 | 180 | |
650 | 540 | 2848 | 705 | 435 | 433 | |
650 | 485 | 6861 | 705 | 400 | 762 | |
650 | 465 | 10648 | 705 | 325 | 2731 |
À partir de ces résultats, on peut suivre pour les quatre températures évaluées, les évolutions des contraintes en fonction des temps à rupture. Bien évidemment, les temps à rupture sont d’autant plus élevés que les contraintes sont faibles, comme le montrent les courbes monotones et décroissantes de la figure suivante.
Ces courbes sont ajustables, avec des coefficients de corrélation satisfaisants (supérieurs typiquement à 0,95), à des lois logarithmiques du type \sigma = a \ln\left( t_r + b\right). En utilisant cette modélisation, les caractéristiques «contrainte – température» peuvent être tracées, pour toute valeur de temps à rupture, par exemple ici pour t_r égal à 30, 100, 300, 1000, 3000 et 10000 heures. Il est utile à ce stade de comparer les données ainsi calculées pour des temps de rupture arbitrairement choisis avec les données expérimentales correspondant à des temps de rupture variés mais globalement superposables à la fourchette explorée par calcul. Quelle que soit la valeur du temps à rupture, on constate une dépendance quasi linéaire entre contrainte et température (figure suivante). On constate, par une simple analyse graphique, que globalement la corrélation n’est pas mauvaise. En effet, les données expérimentales donnent - à la température de {705}{\rm \, °C} - des temps à rupture de 18,7 et 68,6 heures respectivement pour des contraintes de 595 et {540}{\rm \, MPa}. La modélisation prédit une rupture à une durée intermédiaire de 30 heures pour une contrainte intermédiaire de {579}{\rm \, MPa}. Il est clair qu’il s’agit là d’une des premières approximations de l’approche de Larson-Miller.
À partir de ces données, il est alors possible – pour chacune des contraintes testées - de déterminer les températures correspondant aux divers temps à rupture et de tracer ensuite l’évolution de \log_{10}\left(t\right) en fonction de \left(1/T_A\right) (figure suivante). Ceci valide le fait que le logarithme de t varie linéairement avec l’inverse de la température absolue et permet d’évaluer la valeur de la constante k de l’équation définissant le paramètre de Larson-Miller. Ici aussi, le traitement des données expérimentales conduit à une détermination approximative de k. En effet, lorsque T_A s’approche de {0}{\rm \, K}, les courbes correspondantes à chacune des contraintes ne convergent malheureusement pas, lorsqu’elles sont largement extrapolées, vers la même valeur d’ordonnée à l’origine. La valeur de k – ici -23,4 – est donc issue d’une moyenne des quatre valeurs obtenues, ce qui constitue une nouvelle approximation qui entache les développements proposés par Larson et Miller d’une certaine erreur.
Enfin, l’hypothèse forte de l’approche de Larson-Miller consiste à considérer que le régime de fluage stationnaire (secondaire) représente la plus longue séquence de déformation du matériau après une première phase rapide de fluage primaire et avant sa rupture finale dont les mécanismes se concentrent sur un laps de temps très court (fluage tertiaire). C’est évidemment faux dans la pratique, car les déformations en fluage tertiaire peuvent être grandes dans certains cas et les vitesses de déformation importantes. Malgré cela on constate, sur la courbe maîtresse (figure suivante) reliant la contrainte au paramètre de Larson-Miller et qui rassemble l’ensemble des données expérimentales pour toutes les températures d’essais, qu’il n’existe pas de points aberrants. Ceci justifie amplement l’utilisation que l’on en fait aujourd’hui. Cette courbe permet de relier les trois paramètres qui gouvernent les déformations en fluage, le temps (spécifiquement le temps à rupture), la température et la contrainte. Le paramètre de Larson-Miller représente lui-même une caractéristique traduisant l’équivalence temps-température des phénomènes de diffusion à l’état solide à l’origine du fluage. En ce sens, les courbes de Larson-Miller sont particulièrement utiles, elles permettent dans de nombreux cas de s’affranchir de la réalisation d’essais longs et coûteux. En revanche, connaissant l’ensemble des hypothèses et approximations faites dans la détermination des paramètres, il est prudent de n’utiliser les données de Larson-Miller que de manière qualitative et de prendre soin de préserver des marges de sécurité dans les durées d’utilisation et/ou les températures d’utilisation.